Comment je le sais ? Parce que j'ai fait tout ce qu'il ne fallait pas faire avant vous.
Face à une situation conflictuelle, j'allais au clash direct. Je jouais à celui qui gueule le plus fort. Je cherchais tout le temps à avoir le dernier mot.
Aaah, que de temps et d'énergie perdue...
Si seulement j'avais su hier ce que je sais aujourd'hui, j'aurais pu éviter bon nombre de conflits, aussi bien dans ma vie personnelle que professionnelle. Cela m'aurait évité des prises de tête avec des clients récalcitrants, ou encore des engueulades avec des collègues et un patron (ou deux).
Laissez-moi vous exposer une situation compliquée à gérer, et ce que vous pouvez faire pour désamorcer la bombe à retardement.
Vous allez voir, c'est du lourd ! Et c'est du vécu 😉
Comment gérer les personnalités difficiles au travail ?
David, c'est celui que tout le monde déteste ! Il est bon dans ce qu'il fait, il possède une vraie expertise technique. Il a confiance en lui. Il n'hésite pas à dire tout haut ce que tout le monde pense tout bas. Il sait ce qu'il veut et il obtient ce qu'il veut.
Mais voilà : David a aussi horreur de l'autorité, il gueule comme un putois en chaleur à chaque fois qu'on vient lui demander son aide, il est têtu dans les bons jours, borné dans les mauvais.
Certains le voient même comme un égoïste, individualiste, qui agresse son monde pour un oui pour un non, et fait preuve d'une insolence quotidienne.
Je l'ai entendu envoyer bouler des commerciaux des dizaines de fois à grand renforts de "c'est quoi cette merde que t'as vendu ?".
Bref, David c'est LE collègue avec qui personne ne voulait bosser. Parce qu'inévitablement ça allait partir au clash. Même si il fait du bon boulot et que les clients sont satisfaits. Ce qui lui permet de ne pas se faire virer d'ailleurs.
David, c'est LA diva exécrable qu'il faut abattre en interne.
C'est dans ce contexte que je débarque avec mes bagages de chef de projet. Et rapidement je me retrouve à devoir gérer un projet où le principal intervenant est ... Je vous le donne dans le mille ! David !
J'ai eu le droit à une procession funéraire dans le bureau. Tout le monde est venu me plaindre et me donner des conseils. Pour un peu j'entendais des "paix à ton âme", ou des "ravi de t'avoir connu, on se voit dans une autre vie".
Tout le weekend, je me suis rongé les ongles. J'ai anticipé le conflit qui allait éclater. J'ai retourné la situation dans tous les sens, pour voir par quel angle je pourrais l'aborder. Je n'ai pas fermé l’œil de la nuit : trop de stress, trop d'angoisse.
Je n'aurais pas dû écouter les autres.
Parce que ce conflit n'est jamais arrivé. Avec les autres oui, mais pas avec moi.
Pourquoi ? Très bonne question !
La réponse simple, c'est que j'ai pris la situation à l'inverse de tous les autres.
La réponse détaillée : je vous la livre maintenant.
1 ) Expliquer le pourquoi, pas le comment
Je ne suis pas allé le voir pour lui dire : "Voilà, on a signé un contrat avec le client. Y'a ça à faire, pour telle date, tu te démerdes comme tu veux, je ne veux pas le savoir, j'en ai marre que tu râles, c'est comme ça, tu le fais, point."
ça, c'était la méthode de certains de mes collègues. Et forcément, sans surprise, face à ce discours là, David se braque. Systématiquement.
Et vous savez quoi ? Je réagirais exactement comme lui.
Bon, de manière moins virulente quand même.
J'ai été plus malin. Je lui ai exposé le besoin du client. Je lui ai expliqué le pourquoi de ce projet. Ce que le client allait en retirer comme bénéfice. Enfin, je lui ai exposé ce qui a été vendu par le commerce, et ce avec quoi on devait composer.
Alors oui, j'ai bien eu droit à "Ils vendent vraiment que de la merde au Commerce. Moi je sais mieux qu'eux, et si c'est pour faire du travail bâclé j'en veux pas".
Je l'ai laissé râler pour la forme.
Puis je lui ai donné toute liberté pour revoir si nécessaire les points techniques qui étaient vendus, et revoir l'estimation du temps pour faire tout ça. On a présenté notre nouveau plan d'action au client, qui l'a validé. Et on a pu commencer à travailler. Sans qu'on s'engueule.
Mes collègues en étaient bouche-bée. Ils ne comprenaient pas. Et ce n'était que le début.
2 ) Créer une tribu
Tous ceux qui baignent dans les projets vous le diront : pour réussir un projet il faut une bonne équipe projet : soudée, efficace, qui sait travailler ensemble.
Et pour avoir une bonne équipe projet ? Il faut se créer une tribu.
Vous savez ce que j'ai fait quand le projet a été signé et que David a été affecté dessus ? J'ai pris ma chaise, mes affaires, et je suis allé m'installer en face de lui, dans son bureau.
Alors forcément, j'ai eu droit à quelques remarques désobligeantes, du style "ça y est, tu viens t'installer chez ceux qui travaillent" ? "C'est pour me surveiller" ? etc...
Mais je ne me suis pas démonté. Et je n'ai pas surenchéri.
J'ai agi d'instinct, mais avec le recul je sais que c'est cette action qui a tout changé.
Pourquoi ?
Parce que mes collègues chefs de projet restaient dans leur bureau, à l'autre bout du bâtiment, pour donner des directives sur les projets en question. Conclusion, il n'y avait pas une équipe projet. Il y avait le chef de projet "donneur d'ordres" d'un côté, et David de l'autre. Donc oui, ça se fritait. Inévitablement.
J'ai cassé ce schéma là en m'installant dans son bureau avec lui.
Non pas pour le contrôler. Mais pour comprendre comment il travaille, pour mieux comprendre les détails techniques de son métier.
Pour avancer ensemble, lui faciliter la vie et éviter de lui mettre des bâtons dans les roues sans m'en apercevoir. Et lui montrer que non, un chef de projet c'est pas qu'un mec qui met des chiffres dans des cases et qui dit aux autres comment ils doivent travailler tout en leur mettant la pression.
3 ) Dompter la bête
Beaucoup le voyait comme un chien enragé, prêt à mordre jusqu'à l'os le premier mollet qui passe.
Certains le voyait comme un roquet qui ne faisait qu'aboyer à chaque fois que quelqu'un passe dans le couloir, juste pour le plaisir. Comme ça. Pour un shoot de dopamine.
Moi je le voyais comme quelqu'un qui connaît parfaitement son métier, avec une expertise indéniable. Et qui était toujours pertinent.
Vous savez pourquoi ?
Parce que derrière ses grands mots et ses accès de colère, il y avait toujours une vérité, un point qui méritait d'être soulevé.
Le fond était là, la forme était clairement à revoir.
Quand j'ai compris ça, j'ai commencé à le voir d'un autre œil.
Je me suis intéressé à lui, à qui il était, à ce qu'il disait et surtout à pourquoi il disait les choses de cette manière virulente (c'était toujours un langage châtié, bien imagé, je vous laisse imaginer).
Et j'ai fait une découverte intéressante : derrière l'ours se cachait un chaton.
Au niveau personnel, c'est une personne avec de belles valeurs, et qui refusent d'agir à l'encontre de celles-ci.
Au niveau professionnel, c'est quelqu'un qui veut fournir la meilleure qualité possible à ses clients. C'est quelqu'un qui recherche constamment à s'améliorer.
Son seul souci, c'est de se faire entendre.
Il a essayé divers méthodes, et devant l'inaction de certains, l'ignorance des autres, les problèmes qui sont survenus malgré sa prédiction, il a commencé à hausser le ton, en se disant que ça pouvait peut-être faire bouger les choses, qu'en parlant plus fort il se ferait mieux entendre. Le résultat a été tout le contraire.
Est-ce qu'il était le seul fautif ? Non. Ses interlocuteurs l'étaient tout autant que lui.
4 ) Ne pas demander à se calmer
Quand quelqu'un s'énerve en face de nous, remet en cause systématiquement notre travail, considère qu'on vient le voir pour faire de la merde, etc, on a tous et toutes une réaction légitime : contre-attaquer.
En fonction de votre personnalité, vous choisirez une attaque différente, mais le résultat sera le même : Il n'écoute pas. Il se braque. Il surenchérit. Escalade du conflit. Tout le monde est perdant.
Beaucoup seraient rentrés dans le lard en attaquant sur son travail ou sur sa personne. C'est la méthode Mafia : "tu t'es fait quelqu'un de mon clan, je me venge."
Le sang appelle le sang. Mais ça ne résout rien.
D'autres peuvent lui demander de se calmer et de redescendre d'un ton. Mais ça ne marche pas. Rappelez-vous la dernière fois que vous étiez énervé : quand on vous a demandé de vous calmer, ça a marché ? Non ?
Bon, on est d'accord.
En fait, vous ne faites que lui envoyer un jugement dans la face : tu t'énerves, tu parles mal, tu agresses les autres. En gros, vous dites à demi-mot : "c'est pas moi, c'est toi".
Pas sûr que ce soit la meilleure manière d'avancer.
La troisième solution serait alors de l'ignorer. Purement et simplement. Mais c'est la pire de toutes.
Se faire ignorer ça fait plus mal que tout le reste. ça paraît inoffensif comme ça, mais l'ignorance est meurtrière. C'est la solution que la plupart de mes collègues avaient choisi.
Et puisqu'il était ignoré, David a haussé le ton pour se faire entendre : il a gueulé encore plus fort, il a été encore plus virulent dans ses propos.
Se faire ignorer est la pire des souffrances. C'est l'équivalent d'ajouter du pétrole sur le feu. Soit la personne en face surenchérit, soit elle se tait, mais dans tous les cas, la guerre n'est pas terminée. Le conflit s'envenime. Et s'éternise.
Et si vous souhaitez éviter de vous prendre une bombe nucléaire surprise sur le coin de la tête, vous feriez bien de continuer à lire cet article.
5 ) Chercher à comprendre
En fait, ce que mes collègues n'avaient pas compris, c'est qu'il ne fallait pas s'arrêter à la forme. Qui était clairement à revoir, j'en conviens. Il fallait se munir de sa plus belle pelle, et creuser. Creuser. Et creuser encore.
Poser des questions, montrer qu'on s'intéresse à ce qu'il dit. Chercher vraiment à comprendre. Sans juger.
Et là, deux possibilités :
- Soit David exprimait un ressenti. Il peut ne pas refléter totalement la vérité, mais il n'en est pas moins vrai pour lui, puisque c'est ce qu'il ressent.
- Soit il mettait le doigt là où ça fait mal : il soulevait un problème technique, un soucis de communication ou d'organisation interne, un point qui est passé à la trappe.
Bref. Il faut toujours chercher à comprendre ce que nous dit l'autre. Et accepter que c'est difficile parfois de mettre des mots sur ses ressentis, ou d'expliquer clairement son agacement. Ne faites pas attention à la forme. Intéressez-vous plutôt à l'idée qui est transmise. Aux non-dits, qui sont tout aussi important que ce qui est dit. Et aux mots employés. Un langage virulent indique que la position est inconfortable, ou que ce problème agace vraiment votre interlocuteur.
Écoutez tout ce qu'on vous dit, et pas seulement avec la parole. Regardez aussi la posture, les gestes, etc.
Cherchez réellement à comprendre ce que vous dit votre interlocuteur. Et ne le jugez pas.
6 ) Être intègre et transparent
La clé pour désamorcer un conflit, c'est d'instaurer un climat de confiance.
De montrer à l'autre que vous comprenez son problème. De lui proposer une solution, même si c'est temporaire.
Et surtout, SURTOUT, d'être intègre, honnête et transparent.
N'hésitez pas à dire si vous ne savez pas, ou que vous n'avez pas le pouvoir pour prendre telle décision. Vous pourriez aller en parler à votre hiérarchie, mais si vous n'êtes pas certain à 100% que la bonne décision sera prise, dites-le. Soyez transparents.
Vous serez reconnu comme une personne de fiable par votre interlocuteur. Comme une personne de confiance. Et ça, ça change tout !
Avec des personnalités difficiles, un poil rebelle, comme David, l'intégrité, l'honnêteté et la transparence seront vos meilleurs alliés !
7 ) Laisser le dernier mot à l'autre
Avez-vous remarqué qu'il y a des personnes qui veulent systématiquement avoir le dernier mot ?
Rassurez-vous, c'est normal. C'est humain. On veut tous avoir raison.
Et dans l'inconscient collectif, celui qui a le dernier mot, c'est celui qui a raison. Qui gagne le conflit.
En fait, c'est tout l'inverse.
Toujours vouloir avoir le dernier mot, c'est essayer d'avoir plus d'autorité de l'adversaire. C'est l'escalade, la course à celui qui a la plus grosse. C'est une question d'ego mal placé. Personne ne veut rien lâcher.
C'est un dialogue totalement futile, qui ne vous apportera rien sinon une bonne grosse perte d'énergie.
Face à David, je le laissais avoir le dernier mot. L'ultime bafouille. Le dernier râle pour la route.
Quand j'avais dit ce que j'avais à dire, pas besoin de surenchérir encore par-dessus.
il râlait un dernier coup. Et s'y mettait.
Parce que parfois, malgré la meilleure volonté du monde, je ne pouvais pas résoudre le problème. Il le savait. Je le savais. Mais on ne pouvait rien y faire. ça n'était pas satisfaisant pour lui. Ni pour moi. Alors il râlait un bon coup, une dernière fois. Question d'ego. L'honneur est sauf. Puis il s'y mettait.
Ce qu'il faut retenir
J'insiste encore sur un point : ne vous attachez pas trop à la forme, mais au fond du discours. Creusez avec votre plus belle pelle pour comprendre ce qu'on essaye réellement de vous dire.
Ne vous emportez pas, ne demandez pas non plus à l'autre de se calmer. Surtout ne l'ignorez pas. Ce sera pire que tout.
Par contre, ce n'est pas parce qu'il ne faut pas faire attention à la forme que tout est permis; S'il va trop loin, dites-le clairement, mais sans vous énerver. Vous posez des limites claires et précises, à ne pas franchir.
Pour finir, ne reniez pas vos expériences passées. Ok, vous n'étiez pas parfait, vous vous êtes emporté sans raison, mais ce qui est fait est fait. Le regretter n'y changera rien.
Au contraire, puisez dans ces expériences passées, revivez-les, analysez-les pour comprendre où ça a commencé à partir en vrille. Et avec vos nouvelles connaissances et expériences, imaginez comment vous réagiriez maintenant face à cette situation, pour la désamorcer.
L'expérience est la meilleure professeure en matière de gestion de conflits.
Pour aller + loin : Je vous invite à lire cet article de Welcome to the jungle sur la gestion des conflits.