Les projets de transformation d’entreprise sont voués à l’échec

La génération Y représente 75% des actifs, selon l’INSEE. On a beaucoup écrit sur cette génération. Sur ma génération.

Souvent pour dire des âneries.

Une chose est cependant certaine : il existe une fracture générationnelle conséquente entre les générations précédentes et la génération Y.

Les entreprises l’ont bien compris et cherchent aujourd’hui à se rajeunir, à se moderniser, à se transformer, pour pouvoir attirer les talents de cette nouvelle génération.

On voit fleurir de tous les côtés des projets structurants d’entreprise avec plusieurs objectifs ambitieux :

  • Transformer (réformer ?) la culture de l’entreprise, et adopter de nouvelles valeurs
  • Refondre la politique managériale, pour aller vers du management bienveillant et participatif
  • Adopter de nouvelles méthodes de travail pour allier agilité et innovation

 Tous ces projets sont voués à l’échec. Je vous explique pourquoi.

​Des projets de transformation trop ambitieux ?

Les projets de transformation d’entreprise sont aujourd’hui globaux. On souhaite revoir en profondeur la politique managériale, instaurer une méthode de gestion des projets, casser les silos d’équipe et inviter les collaborateurs à travailler ensemble, on souhaite changer la culture de l’entreprise, ses valeurs, prendre en compte les nouvelles manières de travailler, ajouter de la flexibilité, etc.

En bref, on souhaite transformer en profondeur l’identité de l’entreprise et sa manière de fonctionner.

Mais à trop vouloir être partout, on finit par être nulle part. Le risque, en lançant de trop gros chantiers (digitalisation de l’entreprise, changement de culture, transformation de la politique managériale), c’est de finir par revenir à la case départ. Parce qu’on n’a pas su embarquer les équipes dans ce changement. Parce que le gap est trop important. Faire un virage à 180° n’est pas envisageable pour les équipes, à qui on continue de demander d’être rapide et efficace. Pas le temps pour le changement. Les bonnes vieilles habitudes reviennent à vitesse grand v.

Comment faire dans ce cas ?

Adopter la méthode des petits changements. Plutôt que de faire de gros bouleversements tous les 10 ans, qui se passeront dans la douleur et le chaos, préférez la méthode des petits pas. On ne bouleverse plus toute la structure et l’écosystème de l’entreprise d’un coup, on le fait de manière continue.

Ceux qui ont essayé d’arrêter de fumer, de boire du café, de faire un régime et de se mettre au sport à minimum 5h par semaine, le tout en même temps, savent qu’il y a très peu de chances d’arriver à cet objectif.

Une entreprise c’est pareil.

​Un problème de définition

Je vois souvent des présidents, des DG, et des directeurs de ressources humaines communiquer sur le nouveau projet structurant de l’entreprise, à grand renfort d’innovation, d’agilité, de performance, de coconstruire, de disruption, etc…

On communique beaucoup sur ces sujets-là, et on s’étonne de ne pas réussir à emmener les équipes dans ce changement.

Déjà parce que toutes ces communications ne font qu’aligner des mots-clés tendance “qui sonnent bien”, sans jamais définir concrètement ce qui va être fait. On place des projets sous le signe de l’innovation. Mais concrètement ? Cela veut-il dire qu’on offre la possibilité aux collaborateurs d’être audacieux en entreprise, de tester de nouvelles choses, au risque de se tromper ? Car il n’y a pas d’innovation sans audace. Et il n’y a pas d’audace sans risque.

Deuxièmement, ces mots tendance ont tous une interprétation subjective. Discutez pour voir du mode projet, de l’agilité ou de l’innovation autour de vous, et vous verrez qu’il y a presque autant de définition qu’il y a de personne.

Sans définition commune, il est impossible de fédérer les collaborateurs sur ce projet de transformation. Il est impossible de mettre en place une culture commune. Il est impossible d’atteindre les objectifs fixés.

Sans définition commune de ce qu’est l’innovation, la performance, l’agilité, le management participatif et j’en passe, le projet structurant de transformation de l’entreprise est voué à l’échec.

​Pas de résistance au changement ?

J’ai remarqué une constante dans tous ces projets structurants : ils coûtent extrêmement chers, s’étalent sur plusieurs années, et font totalement fi de la résistance au changement.

J’ai parfois l’impression que les directeurs en charge de ces projets mettent des œillères pour ne pas voir la réalité. Ils s’imaginent que parce qu’on parle de concepts de management tendance, tout le monde va être enthousiaste, tout le monde va embarquer dans le projet.

C’est être bien naïf.

Un projet fera forcément face à de la résistance au changement. Et plus le projet est gros, plus l’objectif est ambitieux, plus la transformation est profonde, plus ce sera douloureux. Plus on demandera aux collaborateurs de s’investir, de sortir de leur zone de confort, plus il y aura de résistance au changement.

Et qui dit résistance au changement dit qu’il faut accompagner ce changement. Sinon il ne prendra pas. Il y aura des frictions. Et dans le pire des cas un retour à la case départ.

Ne pas voir cela ou sous-estimer cette résistance au changement n’est pas faire preuve d’optimisme. Ce n’est pas croire que l’on peut tous s’améliorer collectivement. C’est faire une erreur gravissime. C’est ignorer ce qui fait de nous des êtres humains.

 Si l’on râle suite à une mise à jour de son téléphone parce que l’icône de son application préférée a changé, croyez-vous vraiment que les collaborateurs n’opposeront aucune résistance quand j’irais les voir pour leur dire qu’on va revoir leur manière de travailler et collaborer ?

​Une temporalité trop élevée

Le principal souci de ces projets structurants d’entreprise, c’est que pour commencer à voir quelques résultats, il faut attendre plusieurs années.

“​En entreprise, le changement ça prend du temps.”

C’est en substance ce que m’a dit l’un de mes Directeurs Généraux de l’époque. Et vous vous en doutez, je ne suis pas d’accord.

Le changement ça prend du temps si on essaye de tout bousculer d’un coup. On cherche à tout changer à la fois ce qui fait qu’on n’est nulle part. On ne se concentre précisément sur rien, on fait un peu de tout, comme ça, au hasard.

Le changement est rapide et maîtrisé s’il est fait par petites touches régulières. Et ça, la génération Y l’a bien compris.

Nous ne demandons pas un big bang total pour révolutionner toute l’entreprise en trois semaines. Ma génération est friande de changements réguliers, d’adaptation au marché, au contexte économique, aux concurrents, aux besoins et envies des salariés.

On demande aux collaborateurs d’être flexible, de savoir s’adapter aux changements, de pouvoir traiter des sujets de dernière minute, etc.

La génération Y demande la même chose aux entreprises : d’avoir la capacité de s’adapter rapidement, d’évoluer, sans que le moindre changement mette trois ans ou plus à se faire ressentir.

Lorsque l’entreprise annonce un changement profond de la culture, je m’attends à un changement rapide, dans les six mois. Pas dans quelques années. Si au bout de 6 mois il n’y a toujours rien de concret, je laisserais tomber et j’irais voir ailleurs. Tout simplement.

Ce qui compte, ce ne sont pas les paroles et les beaux mails remplis de mots-clés tendances, à la limite de l’insipide. Ce qui compte, ce sont les actes. Et au bout de six mois, s’il n’y a toujours rien de concret, c’est que ça pue.

​On va changer… Dans trois ans

La première année, le comité de direction travaille sur le sujet en toute discrétion, cadre le projet d’entreprise et fixe les objectifs. Sauf retard ou imprévu, le projet est annoncé à l’ensemble des collaborateurs à la fin de cette première année.

On en fait des caisses, c’est une déferlante de mots-clés, mais les collaborateurs n’ont rien de concret à se mettre sous la dent, à part un « ça va changer, vous allez voir ».

La seconde année est l’année de la co-construction. Des groupes de travail sont créés, quelques collaborateurs choisis sur le volet vont décider de la manière dont tous les autres vont travailler. Des idées (la plupart intéressantes) fusent dans tous les sens. C’est l’euphorie du brainstorming.

Tout ça est ensuite récupéré par un cabinet de consultant spécialisé en management, payé à prix d’or, qui va mener à bien cette transformation en profondeur de la société. A ce stade, il n’y a toujours aucun planning, ni rien de concret à présenter aux salariés.

Mais on continue à en parler lors des différents discours de la direction qui rythme l’année. « Le changement va arriver, tout va s’améliorer, on travaille dessus, vous serez bientôt tenus informés ».

La troisième année est celle du planning. On présente un début de commencement de quelque chose avec les consultants. On utilise de grands mots, on présente un planning où l’on voit apparaître quelques dates montrant que l’on va co-construire ensemble.

Autrement dit, ces dates correspondent à des sondages envoyés aux collaborateurs, pour avoir leur avis. Savoir ce qu’il pense du management. De la culture d’entreprise. De ce qui ne fonctionne pas et que l’on pourrait améliorer.

Les résultats de ces sondages vont ensuite être repris par des groupes de travail, quelques collaborateurs triés sur le volet, qui vont faire des propositions pour redéfinir la manière de travailler de l’ensemble des collaborateurs.

La quatrième année est celle de l’expérimentation. On met en place les premiers axes d’amélioration identifiés.

Forcément ça ne marche pas comme prévu.

Alors on cherche un peu, on adapte, puis on finit par se rendre compte qu’on n’a pas réussi à embarquer les collaborateurs dans ce changement. La résistance est trop forte. C’est un échec.

A ce stade, vous pouvez laisser tomber ou comprendre ce qui n’a pas fonctionné pour faire différemment, mais s’entêter dans la même direction sans rien changer est une perte de temps.

​Et si on posait réellement la question aux intéressés ?

Et si on demandait aux salariés ce qui ne fonctionnent pas dans l’entreprise qui pourrait être amélioré ? Et ce qui fonctionne bien qui pourrait être renforcé ?

Tout cela avant de commencer à en réfléchir en comité restreint entre directeurs. Avant même de dépenser une fortune dans des cabinets spécialisés en management.

La véritable force de l’entreprise, c’est sa masse salariale. Ses collaborateurs. Les opérationnels. Et croyez-moi, ils en ont gros. Ils ont des choses à dire. Ils ont même de très bonnes idées. Si on leur permet de s’exprimer. De proposer des choses.

C’est autant d’axes d’améliorations rapides que l’on peut implémenter les uns à la suite des autres, sans partir dans un délire de vouloir changer toute l’entreprise.

Parce qu’au final, quand vous faites appel à des consultants externes pour co-construire l’avenir, que font-ils ? La même chose : ils vont sonder les collaborateurs.

A une différence près. Ceux-ci seront méfiants. Ils seront sur leur garde. Pourquoi leur demander leur avis maintenant alors que ça aurait pu être fait dès le départ ? Pourquoi parler de démarche pour améliorer la responsabilité et l’autonomie si à la base on ne leur fait pas confiance pour être force de proposition ? Pourquoi payer une fortune des consultants externes alors qu’il y a toutes les compétences en interne ?

Pour embarquer les collaborateurs dans le changement, ils doivent activement prendre part à ce changement. Pas regarder ça d’un œil lointain, voir les mois passer sans rien avoir de concret. Et le meilleur moyen de les embarquer, c’est de les impliquer dès le début, et durant toute la phase du projet.

​Le big bang : un coup d’épée dans l’eau

Au final, quand une entreprise m’annonce qu’elle a de grandes ambitions, qu’elle va revoir en profondeur sa politique managériale et sa culture d’entreprise pour laisser de la place à l’innovation, allier bien-être au travail et performance, développer le management participatif pour donner plus d’autonomie et de responsabilisation aux collaborateurs, décloisonner les silos, instaurer le mode projet et travailler en transversalité, ma première réaction est de me dire : « Top, super ambition ! »

Et puis je pose toujours la question qui fâche : « Mais vous faites tout cela en même temps ? Quel est l’horizon du projet ? »

Ça me laisse toujours rêveur quand on m’annonce un grand projet de transformation pour devenir une entreprise agile, avec un horizon à 5 ans. C’est tout le contraire de l’agilité. L’agilité, c’est procéder par petites touches, pratiquer l’amélioration continue, et implémenter de nouvelles choses à chaque itération. Chaque semaine. Chaque mois.

Rappelez-vous la révolution française : ça a été un big bang dans l’histoire de la France. Un changement en profondeur du système politique français, des mœurs et cultures. Tout ça quelques années plus tard pour revenir à la monarchie. Et même passer à l’Empire de Napoléon.

A penser des projets de transformation trop grand, trop ambitieux, c’est le risque que vous prenez : revenir à la case départ.

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